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La vraie relance du ferroviaire devra attendre selon l’AUTF

, par Sylvain Chanourdie

L’AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret) s’inquiète de la santé financière des entreprises du ferroviaire. Celles-ci, réunies au sein de l’Alliance 4F dont l’AUTF est partenaire, ont adressé mi-octobre un courrier au ministre chargé des Transports demandant des aides supplémentaires. En effet, les mesures d’urgence, les aides aux opérations inscrites dans le projet de loi de finance 2021* et le plan de relance du ferroviaire pour 2021 et 2022 annoncés par le Gouvernement en septembre ne suffiront pas à compenser les pertes liées au premier confinement estime 4F.
Et le second confinement bien qu’assoupli risque de retarder encore davantage le développement du rail.
L’AUTF par la voix de son président Denis Choumert resitue les priorités de la relance du ferroviaire dans ce contexte évolutif.

Stratégies Logistique : Avant même le second confinement, l’alliance 4F a adressé un courrier à Jean-Baptiste Djebbari demandant des aides supplémentaires pour compenser l’impact du premier confinement.
Les aides d’urgence et les mesures du plan de relance du ferroviaire ne suffiront donc pas pour passer le cap de la crise ?

Denis Choumert : L’AUTF, qui a accompagné 4F dans l’élaboration de son plan à long terme de développement du fret ferroviaire, salue les mesures de soutien financier dans le cadre de la stratégie nationale de relance du secteur. La prise en charge par l’Etat au 2ème semestre 2020 du coût des sillons ferroviaires en compensation des grèves contre la réforme des retraites, le plan de soutien de 170 millions inscrit dans le projet de loi de finance 2021 et l’allocation d’un milliard d’euros à la modernisation du réseau d’ici à 2024 répondent en grande partie aux attentes du secteur.

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Denis Choumert, président de l’AUTF
® DR

Néanmoins, les entreprises du ferroviaire nous ont fait part de leur désarroi. Les aides actuelles ne couvrent pas les pertes qu’elles ont subi lors du premier confinement. Des secteurs entiers tels que le BTP ou la sidérurgie ont été quasiment à l’arrêt pendant deux mois et demi, entraînant la chute des volumes transportés alors que le service était assuré à 100 %. Le coût de la crise de mars à juin 2020 est estimé par 4F à 80 millions d’euros.

Le plan de relance risque hélas de se transformer en plan de compensation du deuxième confinement.

Les entreprises du ferroviaire vont donc avoir de grosses pertes en 2020. Nous savons que la plus importante d’entre elles, Fret SNCF, a déjà des difficultés de trésorerie malgré une situation assainie lors de sa filialisation en janvier de cette année. Et elle ne peut plus faire appel aux capitaux de sa maison mère.
La demande d’aide à court terme nous paraît donc totalement justifiée. D’autant que le nouveau confinement risque d’aggraver la situation alors que nous avons retrouvé des niveaux d’activité proches de ceux de l’automne 2019.
En effet, cela ne sert à rien de concevoir un plan d’accélération, de nouveaux projets ambitieux, avec des concurrents exsangues. Or le plan de relance risque hélas de se transformer en plan de compensation du deuxième confinement…

S.L. : L’objectif de doublement de la part modale du ferroviaire d’ici à 2030, lancé par 4F et repris par le gouvernement, est-il compromis ?
D. C. : Attention aux objectifs incantatoires, le passé du secteur ferroviaire est riche de visées chiffrées non atteintes. Commençons déjà par stopper la lente érosion de la part modale du ferroviaire, actuellement de 9%. Passer à 18% prendra au moins dix ans. Les deux à trois prochaines années devraient voir une stabilisation : mobilisons-nous pendant cette phase de plateau pour compenser les pertes d’exploitation, aider les acteurs du fret ferroviaire à mieux répondre aux besoins des chargeurs et commencer à moderniser le réseau.
Parmi les grands travaux urgents que SNCF Réseau n’avait pas les moyens de mener jusqu’alors, la modernisation des gares de triage est une priorité, en particulier pour l’assemblage de trains à partir de groupes de wagons différents. Sur une trentaine de gares de triage en France, une dizaine sont cruciales et la moitié de celles-ci sont dans un état très dégradé.
A terme, il s’agit de rendre le fret ferroviaire plus performant, ses acteurs plus compétitifs et innovants grâce au digital et à la mise en place de nouveaux matériels et services. Le secteur doit montrer sa capacité à se moderniser et à innover pour reconquérir les parts de marché perdues et conserver la confiance des chargeurs impliqués dans le fer aujourd’hui.

Le secteur doit montrer sa capacité à se moderniser et à innover pour reconquérir les parts de marché perdues et conserver la confiance des chargeurs impliqués dans le fer aujourd’hui

S.L. : Y a-t-il un risque que les chargeurs continuent de reporter leur trafic vers le routier ?
D. C. : On ne va pas passer à 5% de part modale dans les deux ans. Ce sont des glissements progressifs. Une bonne part du trafic est captif et beaucoup soutiennent le fret ferroviaire par choix. Les chargeurs du fret ferroviaire conventionnel, dans l’agroalimentaire, les matériaux, les métaux, le papier, la sidérurgie, la chimie… ont des schémas logistiques qui fonctionnent bien. En changer serait coûteux, cela peut impliquer de nouvelles installations de chargement et de déchargement, de faire appel à des camions…
En revanche, le transport combiné rail-route présente une volatilité plus forte. Mais c’est là aussi que se trouvent des gisements pour reconquérir des parts de marché du fret ferroviaire de façon très importante à horizon de 5 à 10 ans. Notamment au départ des ports mais pas seulement.

S.L. : Où les investissements dans le transport combiné rail-route doivent-ils aller en priorité ?
D. C. : Outre une meilleure ponctualité, je citerais l’augmentation de la longueur des trains comme un gisement de gain important. Passer de 450-500 mètres à 750 mètres fait baisser les coûts pour le combiné comme le conventionnel. Aujourd’hui, dans le transport combiné, le dernier km représente 40% du coût total de transport, correspondant aux opérations menées pour « casser » les trains en deux, pour charger les caisses mobiles…
Autre investissement clé, la création de nouveaux terminaux combinés, adaptés aux trains longs. Deux grandes villes sont saturées comme Lyon et surtout Paris. Elles gagneraient à accueillir de nouvelles lignes de combiné vers les ports et vers l’Europe.
L’augmentation du gabarit sur certains axes, notamment les autoroutes ferroviaires est aussi un enjeu important.
Cela passe par de gros d’investissement pour 2024-2030, un effort que nous avons du mal à apprécier en regard des 4,7 milliards d’euros annoncés actuellement pour le ferroviaire pour les deux prochaines années. Le combiné à lui seul aurait besoin d’investissements à hauteur de 500 millions d’euros par an.

La gestion capacitaire devrait être interentreprises ferroviaires, à l’instar de ce qui se fait sur la route, avec les bourses de fret par exemple.

S.L. : Quels projets innovants les chargeurs attendent-ils en priorité pour voir la performance du rail s’améliorer ?
D. C. : En matière de nouvelles pratiques, Fret SNCF expérimente la gestion capacitaire qui consiste à mixer des trains complets et des parties de trains provenant de différents clients afin d’optimiser et mieux saturer les moyens de traction sur les grands axes. Ces moyens ne sont plus dédiés aux clients, comme chez la quasi-totalité des autres opérateurs ferroviaires qui n’ont pas le maillage de fret SNCF, ils sont affectés à la demande. Cela suppose un état d’esprit différent, avec des systèmes d’informations interopérables et un partage de données neutre et sécurisé entre les acteurs. Un dispositif semblable est déjà en place au niveau européen pour le wagon isolé entre la Suède à l’Italie par exemple. Deutsche Bahn, Trenitalia, Lineas, etc. ont accepté une certaine transparence pour favoriser la redistribution des wagons dans les autres pays, même si les standards sont encore balbutiants.
Nous pensons que les acteurs du ferroviaire sont mûrs pour franchir ce pas. Pour y parvenir, il faut définir des standards, des systèmes d’information, une volonté de partager et de collaborer. Nous en sommes encore à la première étape. A terme nous pensons que la gestion capacitaire devrait être interentreprises ferroviaires, à l’instar de ce qui se fait sur la route, avec les bourses de fret par exemple.

En dehors des grandes liaisons, bien souvent on ne sait pas où le train se trouve une demi-heure avant son arrivée.

S.L. : Avez-vous d’autres exemples d’innovation ?
D. C. : Nous aimerions que le ferroviaire atteigne la précision d’ETA (heure d’arrivée estimée) que l’on voit sur les plateformes du transport routier. Cela n’existe pas encore dans le ferroviaire où tout se fait par téléphone. Cela faciliterait la planification des équipes et des moyens mobilisés pour les opérations en aval. Aujourd’hui, en dehors des grandes liaisons, bien souvent on ne sait pas où le train se trouve une demi-heure avant son arrivée. Des solutions informatiques sont testées au niveau européen. En France, la ponctualité actuelle est de l’ordre de 85%, ce qui est loin de la route qui peut atteindre 98%, sachant que la route comporte des trajets très courts.
Il y a aussi à gagner dans les wagons, par exemple le couplage automatique des wagons dans les triages. Ce sont des opérations lentes et coûteuses.
Autre enjeu important, SNCF réseau doit améliorer la productivité de la maintenance de ses installations, de 1,5 % par an sur 3 milliards dépensés annuellement. Notre crainte est que l’amélioration de cette productivité se fasse en allongeant la durée des plages de travaux. Ils ont lieu la nuit en général ce qui se fait au détriment du fret !

Tous les modes ont leur zone de pertinence. Le ferroviaire conventionnel a perdu un peu de terrain sur la sienne. Le transport combiné a beaucoup de potentiel inexploité.

S.L. : Dans sa présentation du plan de relance, le gouvernent oppose le ferroviaire au routier en termes écologiques. Qu’en pensez-vous ?
D. C. : Tous les modes ont leur zone de pertinence. Le ferroviaire conventionnel a perdu un peu de terrain sur la sienne. Le transport combiné a beaucoup de potentiel inexploité. Nous sommes contre la guerre des chapelles. Au sein de l’association France Logistique dont nous sommes membre fondateur nous défendons chaque mode sans attaquer l’autre. Il s’agit de préserver l’équilibre optimum entre chaque mode.

S.L. : Avec l’électrique et l’hydrogène, le routier affiche des marges d’amélioration de son bilan carbone sur le long terme…
D. C. : En effet, mais le chemin est encore long pour les entreprises privées qui investiront dans des camions électriques et à l’hydrogène. Il reste pertinent de favoriser le fret ferroviaire même si un jour la route passera en décarboné. Le ferroviaire demande ainsi 6 fois moins d’énergie pour déplacer le même poids sur une même distance. Sachant que l’énergie du futur, décarbonée, sera plus chère, autant en consommer le moins possible. Le ferroviaire a aussi des avantages de sécurité routière et évite la congestion routière. Il y a aussi la problématique de l’attractivité du métier de conducteur. Il y a une pénurie chronique de chauffeurs qui risque de s’amplifier passée la crise économique due au Covid, et nonobstant l’impact éventuel du camion autonome ou en peloton.

* Ventilation des 170 millions d’euros d’aides aux opérations du projet de loi de finance 2021 :

  • Sillons à moitié prix en 2021 : 50 à 60 millions d’euros
  • Aide à la pince : 35 à 40 millions d’euros
  • Aide au wagon isolé 60 à 70 millions d’euros
  • Soutien aux autoroutes ferroviaires

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