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FM Logistic : « Livrer vite à tout prix n’est pas toujours nécessaire »
Jean-Christophe Machet, président de FM Logistic, se pose en défenseur de la slow logistics et décrit ses pistes et ses attentes pour ralentir les flux, mieux massifier ou prioriser les livraisons vertueuses.
Stratégies Logistique : Vous portez à titre personnel et au nom de FM Logistic un message en faveur d’une supply chain plus responsable, jusqu’à prôner le concept de slow logistics. Quel est-il ?
Jean-Christophe Machet : Chez FM Logistic, nous sommes convaincus d’avoir un rôle à jouer aux côtés des chargeurs et des consommateurs, afin de faire de la supply chain un levier de contribution à une économie plus responsable. C’est un discours impulsé par nos 3 fondateurs et confirmé par nos actionnaires dans la stratégie du groupe d’ici 2035 d’atteindre une empreinte positive, contributive à une économie plus responsable vis-à-vis des êtres humains, de la planète, tout en permettant un développement économique équilibré et durable. Dès lors, la slow logistics appliquée à certains flux est perçue comme un moyen d’y parvenir. Je ne dis pas qu’il faut tout ralentir ni arrêter l’e-commerce qui a pris une part importante dans nos habitudes de consommation et va continuer à se développer. Mais aujourd’hui, ce que je challenge c’est la façon dont on opère sur l’e-commerce et le principe de livrer vite à tout prix alors que ce n’est pas toujours nécessaire.
Sur quoi vous appuyez-vous pour défendre la slow logistics ?
Concernant l’e-commerce, une étude de DC Brain indique que 78 % des consommateurs européens sont prêts à attendre un produit si cela permet de réduire les émissions de CO2. Il y a là de quoi remettre en question le modèle de livraison Ultrarapide. Par ailleurs, des discussions avec certains clients, d’importants chargeurs sur le marché FMCG, montrent que sur l’ensemble de la chaîne, entre l’usine et le consommateur, il y a en fonction des produits 30 à 70 jours de stock. Livrer rapidement se justifie en cas de risques de rupture de stock ou de taux de service client, mais avec 70 jours de stock, je pense qu’il est possible de ralentir les livraisons. Lorsque c’est possible, j’aimerais que l’on passe du just-in-time au just-in-case : quand il y a un réel besoin. Dans ce cas, on peut envisager de transporter moins rapidement et de privilégier des transports alternatifs.
Sur le dernier kilomètre, plutôt que de ralentir je propose d’organiser différemment la distribution.
Quels sont vos pistes et leviers pour ralentir ou adapter la logistique ?
Il faut favoriser le multimodal pour essayer de remettre sur le train des livraisons d’approvisionnement. FM Logistic a par exemple investi dans des caisses multimodales, a ouvert une ligne nord-sud en France et travaille sur une nouvelle ligne pour massifier les flux d’Europe centrale vers l’Ouest. Nous allons mettre en place une autoroute rail avec une meilleure empreinte écologique. Une autre solution réside dans le pooling, en réunissant dans un même entrepôt 5 à 6 industriels du même secteur. Cela évite à chacun de livrer depuis son propre entrepôt des plateformes ou des hubs individuellement avec des commandes de taille restreinte au profit d’une massification de tous les flux dans un même site, ce qui permet de mieux remplir les camions. Quand on mutualise les flux, on optimise mieux d’un point de vue économique puisqu’on a moins de mètres carrés vides, et on améliore le taux de service puisqu’on met en place des livraisons régulières de camions complets. C’est plus vertueux d’un point de vue qualité de service client, d’un point de vue économique et d’un point de vue écologique. Concernant le dernier kilomètre, plutôt que de ralentir, je propose d’organiser différemment la distribution. Les municipalités devraient peut-être allouer des zones (arrondissement ou quartiers) à un panel de 5 transporteurs, au lieu d’en voir une quarantaine livrer une même rue chaque jour. Chaque année, le « moins bon » sort et on injecte un nouveau concurrent pour que le consommateur bénéficie d’une offre nouvelle qui puisse challenger le rapport prix/qualité. Et mécaniquement, avec 5 acteurs par arrondissement, les flux vont se massifier physiquement, le nombre de camion sera réduit, donc les émissions de CO2 et la congestion de la ville aussi, et cette plus forte densification améliore en outre le taux de service.
J’invite les e-commerçants à prioriser la livraison la plus vertueuse parmi 3 solutions par exemple.
SL : Mais massifier et ralentir les flux nécessite plus de stockage, en opposition avec la capacité et le marché de l’immobilier logistique tendu. Quelles solutions proposez-vous ?
JCM : Vaut-il mieux 10 entrepôts de 10 000 m2 répartis à différents endroits ou un seul entrepôt de 100 000 m2 respectant de hautes exigences environnementales et de sécurité ? Je pense qu’il faut travailler main dans la main avec les collectivités pour développer des entrepôts XXL permettant de mieux mutualiser. Dans ce cas, pour être cohérent, il faut chercher à occuper moins d’espace au sol, à compresser, et donc miser sur la hauteur qui de plus permet une automatisation efficace. Une autre solution consiste à accélérer la réhabilitation de friches industrielles et leur transformation en zone logistique. Ensuite, je propose de s’inspirer du modèle historique des places du marché dans les villes. Il faut, au cœur des villes, déployer des ELU dédiés à l’e-commerce, et ainsi mettre à disposition des places de marché physiques pour les places de marché digitales. On parle de points relais massifiés, industrialisés. Au total, je propose un schéma logistique basé sur des entrepôts XXL loin des villes où les flux sont massifiés, reliés à des entrepôts de proximité autour des bassins de consommation puis des points de collecte au cœur des villes.
Que faites-vous pour sensibiliser l’ensemble des acteurs de la chaîne à cette slow logistics ?
En s’appuyant sur des dashboards de développement durable que nous fournissons à nos clients, nous leur proposons différentes solutions évoquées précédemment. Notre souhait est de mettre en place pour chacun une démarche lean, en termes de logistique mais aussi de développement durable. Nos équipes passent 1/3 de leur temps avec les clients à identifier les terrains sur lesquels nous pouvons agir. Je suis certain que l’on peut ralentir dans tous les secteurs, que partout certains flux sont éligibles, il faut donc les identifier, et c’est notre rôle, notre métier. À condition de ralentir pour faire mieux sur le plan économique, écologique et social ! Par ailleurs, pour inciter les consommateurs à ralentir, j’invite les e-commerçants à prioriser la livraison la plus vertueuse parmi 3 solutions par exemple, qu’elle soit le choix par défaut pour l’acheteur et qu’elle soit moins chère que les autres. En généralisant ces pratiques, on offre un intérêt économique aux consommateurs auxquels on permet de devenir les patrons d’une supply chain écologiquement plus vertueuse.
Cette interview fait partie de l’enquête sur la slow logistics parue dans Stratégies Logistique n°211 (février - mars).
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